De la destruction de valeur

Le 17 Mai 2021 Apple annonce que les abonnés au service de streaming Apple Music pourraient prochainement écouter les fichiers en haute qualité, à savoir la qualité dite “lossless” c’est à dire l’équivalent d’une qualité CD mais aussi la qualité “spatial audio”. Autrement dit, ce qui coutait 14,99 €/$ chez les concurrents coutera désormais 9,99€ chez Apple.

Quelques heures après, Amazon réagit en baissant immédiatement son prix de 5 €/$ : l’offre Amazon Music Unlimted qui inclus la haute qualité sera désormais facturée au prix “de base” de 9,99 €/$

Les initiatives à succès pour augmenter la valeur économique du streaming et instaurer une différenciation entre l’offre « de base » et l’offre « haut qualité » se voient sévèrement attaquées.

En 24H00, une destruction de valeur sans précédent dans le marché du streaming musical.

Rappel des faits :

QUINZE ANS POUR REMONTER LA PENTE

Premier secteur a être touché par le tsunami numérique, la filière musicale est aussi la première à se relever et à trouver un nouveau modèle économique grâce au streaming.

Avec une progression de+7,4% dans le monde, le marché de la musique dans le monde  dépasse désormais la barre des 20 milliards de dollars et retrouve à peine son niveau d’avant la crise, c’est-à-dire de l’année 2003.

15 années de crise ! Il aura fallu 15 ans pour “remonter la pente” comme on peut le voir sur ce graphique :

UNE NOUVELLE FACON DE MONETISER LA MUSIQUE

Le Streaming apparait en 2007 et 2008 et en une dizaine d’années permettent de reconstituer une partie de la valeur disparue dans l’ouragan du numérique. Les services de streaming permettent de monétiser la musique dans un monde ou le piratage existe toujours comme détaillé ici

IL EXISTE UN CONSENTEMENT A PAYER…A PAYER PLUS CHER

Militant de la première heure pour la musique digitale et la haute qualité, Yves Riesel crée, en 2008, la société qobuz -reprise depuis par Xandrie en 2016- et démontre que les consommateurs sont prêt à payer pour un abonnement en haute qualité, une qualité sonore au moins égale à celle du CD. Il revient sur cette aventure ici

TIDAL emboite le pas, puis Deezer et d’autres ensuite. Spotify avait décidé également d’investir ce segment prochainement

Tous ces acteurs démontrent qu’il existe un CONSENTEMENT A PAYER et qu’il est possible d’introduire plus de valeur avec des abonnements haut de gamme grâce à une segmentation consommateur plus fine. Ces services de musique, possèdent certes moins d’abonnés, mais génèrent un revenu par abonné (ARPU) bien supérieur aux grandes plateformes de streaming créées par les GAFA. Une différenciation des prix vertueuse qui apporte plus de revenus aux ayants droits.

Il aura fallu donc moins de 24H pour détruire cet édifice. Car pour les géants de la tech que sont Apple et Amazon, il est beaucoup plus facile d’utiliser la musique “haute définition” – quitte à flirter avec la vente à perte- pour vendre des équipements et autres produits. Une destruction “Schumpterienne” (Mr Joseph Schumpeter) qui détruit de la valeur mais n’en crée que pour les fabricants de matériels.

La création a une valeur. Présentée avec un service de qualité, les consommateurs sont prêts à payer pour cette valeur.

A l’heure ou le débat sur le « partage de la valeur » fait rage, Il serait bon de veiller à ce que la valeur ne disparaisse pas …sinon il n’y aura plus rien à se partager. L’action doit venir des détenteurs de droits pour protéger la valeur de la création.

Et pour citer Andrew Lloyd Weber  

‘The fine wines of France are not merely content for the glass making industry’,

CROISSANCE ET CHALLENGES DU STREAMING AUDIO

closeup iphone and earpods device on table

Le début de l’année 2020 est marqué encore une fois par la parution les chiffres de croissance du marché de la musique. Comme chaque année depuis trois ans, ces chiffres sont impressionnants.
En 2019, aux Etats Unis, pour la troisième année consécutive le marché marque une croissance à deux chiffres soit +13,5% dopé par le streaming qui croit de +32%.
Aux Etats Unis, le streaming représente déjà 85% de la consommation de musique.
Le Japon, 2e marché mondial de la musique devrait publier ses chiffres sous peu.
3e marché mondial : L’ Angleterre. Le marché anglais augmente de +7,1% et le streaming  par abonnement représente plus de 71% du marché. Tous les détails ici 
En France les chiffres du marché 2019 seront communiqué par le SNEP le 25 Février et j’y reviendrai sur le blog d’EMIC

 

LES CHALLENGES DES SERVICES DE STREAMING

Si les résultats et prévisions sont très encourageants, pour les artistes, ayants droits et distributeurs, les plateformes de streaming musical, elles, doivent faire face à plusieurs challenges. 
Spotify on iPhone 6

Changement de paradigme et de relations avec les ayants droits

Le streaming c’est à la fois une écoute ET une vente : Le streaming devient “RATAIL” (RADIO+RETAIL) est à la fois RADIO et RETAIL ce qui a des implications importantes. Dans l’ancien monde, les passages radios faisaient accroitre la notoriété de l’artiste et provoquaient la demande et donc les ventes. Dans le monde du streaming c’est tout à la fois. Pour les plateformes de streaming ce n’est pas un problème car leur ressources humaines et financières sont toutes focalisées sur l’acquisition et la rétention client, mais pour les artistes et les labels, cela change complètement les approches de stratégie marketing et développement d’artiste. Le passage du modèle de la possession au modèle de l’accès a du remettre en cause toutes les stratégies marketing, pour basculer le “push marketing” vers du “pull marketing” comme déjà évoqué sur ce blog dès 2015.

Combattre dans l’économie de l’attention.

Avec internet et l’accès illimité aux contenus de divertissements nait, il y a une petite vingtaine d’année, “l’économie de l’attention” qui définit l’attention du consommateur comme une ressource rare comme le décrivait Yves Citton dans son ouvrage “L’économie de l’attention”
Une journée étant limitée à 24 heures, chaque minute de “consommation” est, désormais, “prise” sur un temps pour faire autre chose. Il n’y a plus de temps libre à conquérir si ce n’est le sommeil. “Mon principal concurrent, c’est le sommeil” déclarait Reed Hastings, co-fondateur et CEO de NETFLIX dès en 2017 dans une interview au Guardian. 
Les services de streaming musical doivent combattre dans cet environnement, dans un marché de l’attention face aux géants comme Facebook, Netflix, Google (Youtube), Microsoft (Xbox notamment), mais aussi Steam, Snap, TikTok et toutes les nouvelles plateformes d’entertainment, sans oublier les médias qui se battent pour gagner chaque minute d’attention du public ou « temps de cerveau humain disponible », selon l’expression celèbre formulée en 2004 par Patrick Le Lay, alors président-directeur général du groupe TF1.
Le marché de l'”attention audio” est arrivé à saturation. La radio perd des “part de marché d’audience”. Comment faire la différence ?
Jimmy Iovine, grand personnage de l’industrie musicale, déclarait récemment au New York Times: “the streaming music services are utilities — they’re all the same. Look at what’s working in video. Disney has nothing but original stuff. Netflix has tons of original stuff. But the music streaming services are all the same, and that’s a problem.

Comment se différencier ?

Une première différenciation est apparue il y a quelques années sur la qualité audio. Ainsi Tidal et qobuz propose une qualité supérieure depuis quelques années mais c’est désormais le cas pour Amazon avec Amazon HD et Deezer avec Deezer Hi Fi
Une différenciation par le mode d’utilisation me semble manquer cruellement. Le couplage Abonnement d’un mois / 1 niveau de prix (9,99€ pour le standard et 19,99€ pour le haut de gamme) m’apparait trop restrictif, même si certains acteurs adresse désormais la famille avec une offre un peu plus chère pour 6 comptes,
Je constate que seul Amazon a cinq niveaux de différenciation prix, en segmentant par l’usage ET le prix :
Un premier niveau gratuit pour les utilisateurs d’Alexa qui peuvent streamer des “radios” ou des playlists conçues par Amazon Music
Un deuxième niveau pour les membres Amazon Prime (49€ par an en France) qui ont accès gratuitement à 2 millions de titres
Un troisième niveau “Echo Plan” pour ceux qui possèdent une enceinte connectée Echo, l’abonnement Amazon Music ne leur coûte que 3,99€ mais leur écoute n’est possible que via leur enceinte.
Un quatrième niveau assez “standard” avec un abonnement musique illimité (Amazon Music Unlimited) pour 9,99€ mais avec un prix réduit à 7,99€ pour les abonnés prime
et toujours un cinquième niveau de prix pour les offres famille
Autres axes de différenciation  : Les contenus personnalisés, l’éditorial, et le “boom” du podcast en est la preuve. Spotify et Deezer investissent massivement sur le podcast quand qobuz mise sur l’éditorial. J’y reviendrai prochainement sur ce blog. Une cartographie du podcast se trouve ici, témoignage de la bonne croissance de ce segment.
Il me semble que la préservation des données personnelles devrait être un axe de différenciation. Personnellement je n’ai aucune visibilité de l’utilisation de mes données personnelles… “Privacy” le nouveau positionnement ?

Marge et rentabilité.

Le plus grand challenge reste la rentabilité. Comme déjà développé sur ce blog en 2016 : sur un abonnement à 9,99€ si on enlève la TVA et le reversement aux ayants droits (recording et publishing), il reste un peu plus de 2€ par abonné pour pouvoir absorber les frais fixes ( dont les frais techniques et les frais de personnel) et faire le marketing et l’acquisition client. Compte tenu du fait que le modèle économique est proportionnel et basé sur pourcentage des revenus, le taux de marge reste identique à l’inverse des modèles comme Netflix et Disney + ou le modèle de rémunération des ayants droits n’est pas proportionnel. Ainsi plus Netflix élargit sa base client et plus son taux de marge augmente.

 

Le streaming audio a de belles années devant lui.

Selon une étude de Goldman Sachs d’ici 2030, 1,15 millards de personnes dans le monde seront abonnés à un service de streaming. Mais, dans un environnement de la guerre de l’attention, les services de streaming doivent trouver leur positionnement et leur axe de différenciation mais aussi une meilleur marge pour survivre.

The Music User Experience Revolution

“Alexa, joue moi le titre de ce groupe des années 80 avec les paroles qui commencent par “yesterday i got so old..”

Et mon enceinte connectée Echo -grâce à la technologie de reconnaissance Alexa – de jouer “In Between Days” du groupe The Cure.

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L’enceinte connectée et sa technologie de reconnaissance  vocale est une révolution pour l’usage et l’expérience de la musique. Un sujet au coeur des préoccupations de la musique numérique, un sujet qui me passionne et que j’ai souvent développer sur ce blog ici.

 

AMAZON vs GOOGLE vs APPLE : L’ENCEINTE CONNECTEE COMME CHEVAL DE TROIE DU MARCHE DU STREAMING MUSICAL

 

Amazon a lancé en France son enceinte connectée Echo, le 6 Juin, cheval de Troie de son service de streaming “Amazon Music Unlimited”. Une offre commerciale de lancement agressive “à la Amazon” : Tous les abonnés PRIME auront 40 heures de musique gratuite sans débourser un euro de plus. Un avant gout du service de streaming illimité d’Amazon lancé à l’automne dernier, une technique infaillible pour une conquête de part de marché rapide sur le marché du streaming. Dans un second temps, les abonnements musique seront proposés 8€ au lieu de 10€ pour un abonnement concurrent, Deezer ou Spotify par exemple.

 

Il y a quelques semaines Google, déjà présent en France depuis Aout 2017 avec son enceinte connectée Google Home, annonce le re-lancement de son service de streaming musical -YouTube Red est rebaptisé YouTube Music- soit l’intégralité du catalogue musical accessible de façon illimitée, sans publicité avec l’écoute de morceaux hors connexion et la lecture de musique en arrière-plan, fonctionnalité demandée depuis longtemps par les utilisateurs de YouTube.

 

Apple s’apprête a lancer son enceinte connectée le HomePod le 18 Juin, qui permettra de se connecter à son service de streaming Apple Music lancé en France en Juin 2015.

Ce printemps 2018 marque donc un tournant dans le marché de la musique numérique.

THE MUSIC USER EXPERIENCE REVOLUTION

Pourquoi les enceintes connectées vont elles modifier à tout jamais le lien qui unit le consommateur à sa musique ?

L’histoire de la musique enregistrée est corrélée à l’évolution de la technologie. En matière d’accès aux contenus, l’innovation technologique essentielle de ce début de siècle est le streaming. Chaque innovation technologique entraine avec elle une révolution des usages.La commande vocale est une révolution des usages. Depuis l’avènement du streaming, le lien du consommateur avec sa musique se faisait via écran. Désormais, pfff…. fini l’écran, le consommateur se débarrasse de son mobile.

NOUVELLES CIBLES, NOUVEAUX ESPACES.

La facilité de la commande vocale permettra de toucher la cible des seniors mais aussi celle des enfants. Cette technologie permet également de remettre la musique au centre des pièces à vivre notamment le salon ou trônait autrefois cette bonne vieille chaine hi-fi.

AUGMENTATION DE LA CONSOMMATION DE MUSIQUE.

Une étude -que vous pouvez trouver ici – montre que les consommateurs qui détiennent une enceinte connectée passe plus de temps à écouter de la musique : 34% des détenteurs d’enceinte Echo ou Google Home passaient plus de 4 heures par jour à écouter de la musique alors que ce pourcentage est de 24% pour le reste de la population.

CHANGEMENT DE PARADIGME DANS LE MARKETING ET LA DATA LIEE A LA MUSIQUE.

Les données associées à la musique, renseignées par les ayants droits -producteurs et éditeurs- sont désormais un facteur clé de succès majeur pour émerger lors d’une commande vocale d’un titre. Plus les données associées à un titre sont riches et pertinentes, plus les différentes technologies de reconnaissances -Alexa, Siri, Google Actions ou Cortana…- ont des chances d’identifier et recommander le dit titre.

Ce n’est donc pas étonnant que Nielsen ait payé 560 Millions de dollars pour l’acquisition de Gracenote, spécialiste de la data qui fournit les données associées pour Apple pour plus de 100 millions de titres musicaux et autres et 12 millions de films et de séries.

Une chanson, pour avoir une chance d’être écoutée -dans l’océan des 50 millions de titres présents sur les services de streaming- doit posséder des données associées pertinentes, et pas seulement les données “basiques” (producteur, éditeur, auteur et compositeur, paroles etc, ) mais aussi des données sur le style, mood, tempo, et toutes sortes de données émotionnelles associées. Les ayants droits doivent maîtriser et enrichir les données associées s’ils veulent garder le contrôle de la recommandation.

SMART SPEAKER : UN MARCHE QUI DEPASSE L’ENJEU DES VENTES DES OBJETS CONNECTES.

Un marché en pleine explosion comme expliqué il ya quelques temps sur ce blog.

Mais la bataille entre Google, Amazon, Apple pour les enceintes connectées dépasse l’enjeu des revenus de la vente de ces objets connectés. Les revenus proviendront de la vente d’autres produits et d’autres services. La musique comme produit d’appel ce n’est pas nouveau : iTunes puis Apple Music ont largement contribué à la vente de iPod (jadis), Iphone et autre Mac; YouTube est la première destination au monde de musique mais son modèle économique est la vente de publicité et de données personnelles.

Pour ne prendre que l’exemple d’Amazon : Alexa, son système de reconnaissance vocale, répond à des questions, donne le bulletin météo, commande les objets connectés de la maison mais il permet surtout de faire ses courses sur Amazon.