
Le modèle économique du streaming musical par abonnement est-il amené à changer ?
La confusion est souvent faite entre le modèle économique et le système de répartition des revenus aux artistes interprètes et auteurs-compositeurs. Commençons par clarifier les choses.
Le modèle économique de l’abonnement.
Pour rappel, les services de streaming reversent environ 70% de leurs revenus aux ayants droits : Ils rémunèrent les détenteurs de droits des enregistrements c’est-à-dire les les labels -via leur distributeur. La responsabilité des labels est de rémunérer les artistes interprètes selon les termes du contrat signé avec ces derniers. Les services de streaming rémunèrent également l’oeuvre immatérielle c’est-à-dire, les auteurs -compositeurs des chansons via les sociétés de gestion collectives et leurs membres éditeurs qui, pour leur part, détiennent les droits exclusifs des textes et des compositions musicales.
Le système de répartition.
Actuellement, le système de répartition des revenus générés fonctionne sous forme de “pot commun”. Dans ce “gâteau” chaque ayant droit est rémunéré en fonction de sa part de marché globale (‘market’ centric) calculée sur la base du nombre d’écoutes (‘pro-rata’) réalisées par l’ensemble des utilisateurs de la plateforme. Ce système est remis en cause depuis quelques années. En France mais aussi en Angleterre comme évoqué déjà ici. J’en parlais déjà sur ce blog en 2020.

En janvier 2023, Sir Lucian Grainge, Chairman et CEO de Universal Music Group (UMG) diffuse une note interne qui remet en cause le système de répartition actuel des services de streaming appelé ‘pro-rata’ ou ‘market-cenric’
Un modèle plus vertueux avait déjà été préconisé par Deezer, et défendu par de nombreux acteurs de la filières. Appelé “user centric”, ce modèle ne fonctionnerait plus sous forme de “pot commun” mais qui serait centré sur l’utilisateur. En résumé, l’abonnement de 9,99€ payé par l’utilisateur chaque mois, ne serait réparti qu’avec les artistes effectivement écoutés par l’utilisateur, comme expliqué sur ce blog en 2021.
Le CNM a mesuré en 2021 les impacts d’un changement de méthode de répartition. Vous trouverez tous les détails de l’étude ici. Une seconde étude est en cours.
Quelles sont les raisons qui feraient évoluer aujourd’hui les positions de chacun ? Le “pro rata” a-t-il atteint ses limites ?
Si Universal bouge désormais c’est que le principe “pot commun” semble dépassé…ou plus précisément saturé car dans ce “chaudron commun” se trouve des méchantes potions qui viendraient diluer la rémunération…..
LA FRAUDE
Tout d’abord la manipulation des écoutes en ligne brouille les cartes. Certains fraudeurs utilisent des techniques illicites pour gonfler artificiellement le nombre de streams notamment en ayant recours aux “fermes à stream”. Le nombre de streams, artificiellement gonflé dilue la part de marché. Le CNM (centre national de la musique) le détaillait dans une étude que vous trouverez en intégralité ici
Deuxièmement, les “faux artistes” qui apparaissent dans les playlists viennent également diluer le gâteau à se partager, comme commenté dans music business worldwide.
C’est quoi un faux artiste ? “music that lacks a meaningful artistic context” évoque le patron d’Universal dans son mémo. En deux mots, “la musique au kilomètre” créée pour alimenter le ventre énorme des playlist.
Enfin, les bruits et autres éléments sonores (bruits de vagues, bruits de vents) bref de l’audio plus que de la musique conçue pour alimenter un “papier peint sonore”. Etant donné qu’un stream est rémunéré dès la 31 seconde -et quelque soit sa durée totale – ces “titres” ne dure rarement plus d’une minute…
LA PART DE MARCHE DILUEE
Ainsi la part de marché s’érode. Le ‘market centric’ perd son intérêt économique….
Ci-dessous la part de marché des majors et gros indépendants sur Spotify
QUANTITE vs QUALITE
Pendant longtemps les médias B2B opposait les “méchantes” majors contre les “gentils” indépendants. Ce débat est dépassé. Désormais c’est la quantité vs la qualité.
Avec plus de 100 000 tracks par jour mis en ligne par les plateformes de streaming, l’enjeu est désormais d’émerger dans cet océan.
Quel modèle préconise Universal ?
Un modèle “artist centric”. Exit donc l’UCPS, modèle ‘user centric’. préconisé par Deezer ? Mais alors c’est quoi l'”artist centric” ? Personne ne peut encore le définir. Universal y travaille sans doute mais rien n’est encore très précis.
Un modèle qui pourrait faire la distinction entre “vrai” artiste et “faux” artiste. Mais comme faire la différence ?
Si je fais un album dans ma chambre suis-je un “vrai” artiste ? Dois je être signé sur un label pour être un “vrai” artiste ?
Bref, l'”artist-centric” n’est pas encore élaboré. Il me plait donc d’évoquer plusieurs autres pistes de travail :
-Un “pro-rata temporis” Ainsi un titre de 31 secondes et une symphonie de 31 minutes ne seraient plus rémunérées de la meme façon. Basique.
-Une rémunération différente selon que le stream est “actif” ou “passif”. Un stream peut être qualifié d’actif quand l’auditeur fait un acte de recherche active, ou qu’il sauvegarde le titre dans sa bibliothèque, et encore qu’il précommande le titre. Il s’agit d’usages qui montrent un rapport “actif” à la musique contrairement à la situation ou l’auditeur écoute un titre dans une playlist qui lui est proposée par un algorithme, usage qui serait donc considérée comme “passif”. Logique.
-Une rémunération différente entre l’audio “non musical” et un titre de “musique”. Mais comment faire cette différenciation ?
-Pourquoi abandonner la piste “user centric” qui semble définitivement plus équitable ? pourquoi ne pas “mixer” ces pistes avec le “user centric”?
La répartition de la valeur dans le streaming musical a été élaborée lors de sa naissance en 2007. Depuis les choses ont changées. Le streaming est devenu le modèle dominant. Le temps est venu de remettre en cause son système de répartition. Toutes ces idées sont intéressantes et -pour qu’elles aboutissent – il faut que l’ensemble des parties prenantes se mettent d’accord….L’avenir dira si les ayants-droits arrivent à accorder leurs violons.