Rémunération des artistes

La rémunération des artistes, un sujet qui ne date pas de la crise de la COVID

Il est bon de rappeler que ce thème est un sujet récurrent, au cœur des préoccupations des acteurs de la filière musicale, depuis une dizaine d’années c’est-à-dire depuis l’avènement du streaming, mais ce sujet émerge de nouveau suite à la baisse drastique des revenus des artistes dans cette crise sanitaire terrible pour le monde de la culture et particulièrement le spectacle vivant.

Le CNM, cette maison commune de la musique née au début de l’année 2020 – l’équivalent du CNC pour la filière musicale en quelque sorte- a confié au cabinet Deloitte une étude sur la rémunération des ayants droit par les plates-formes de streaming. Le sujet a gagné l’Angleterre, deuxième marché européen de la musique juste derrière l’Allemagne. Le parlement du Royaume Uni mène actuellement une étude sur le modèle économique de la musique. Les artistes ont pris part au débat comme détaillé dans cet article du Guardian.

Dès l’été 2020, une étude avait révélé que le public anglais est convaincu que les artistes ne sont pas assez rémunérés. Baptisée #brokenrecord cette campagne vise à demander une meilleure rémunération pour les artistes.

Le Partage de la valeur

Il y aurait donc un problème de “partage de valeur” dans le modèle du streaming ? Mes étudiants EMIC me posent souvent la question. Et voilà en substance ce que je leur réponds : Le partage de la valeur entre qui et qui ?

Suivent ensuite quatre questions, abordées longuement pendant les cours EMIC du Master 2 Musique. :

Les services de streaming ne rétribuent pas assez les ayants-droits ? les labels ne payent pas assez les artistes ? ou bien éditeurs qui ne rémunèrent pas assez leurs auteur-compositeurs ? ou le système de répartition qui n’est pas équitable ?

Entre plateforme de streaming et ayants-droits

Revenons donc à la “valeur” …. Au début de la “chaine de valeur”, le consommateur qui s’abonne à un service de streaming.

Le partage de la valeur entre un service de streaming et les ayants droits est désormais connu de tous et je l’avais déjà détaillé ici dès 2016.

Pour un abonnement à 9,99€, une fois acquittée la TVA et le reversement aux (a) ayants droits -c’est à dire les labels et les auteurs-compositeurs- il reste pour la (b) plateforme de streaming un peu plus de 2€ par abonné afin d’absorber les frais techniques (bande passante etc), frais fixes (locaux, serveurs) et frais de personnel mais aussi le marketing et la publicité pour développer l’usage et faire l’acquisition des nouveaux clients. Autrement dit, un taux de marge 25% à 30%. Pour un modèle économique qui n’est pas encore arrivé à maturité, c’est trop peu. Même Spotify, leader mondial avec 138 Millions d’abonnés perd de l’argent comme expliqué ici.

Compte tenu du fait que le modèle économique est proportionnel et basé sur pourcentage des revenus, le taux de marge reste identique, à l’inverse des modèles comme Netflix et Disney + ou le modèle de rémunération des ayants droits n’est pas proportionnel. Ainsi plus Netflix élargit sa base client et plus son taux de marge augmente.

Regardons (a) le reversement aux ayants droits.

Un montant d’un peu plus de 6€ sur un abonnement irait donc aux ayants droits, détenteurs exclusifs des droits des chansons. Environ 20% de cette somme aux auteurs-compositeurs de la chanson (via la Sacem en France et les sociétés sœurs dans d’autres pays) et 80% au labels (producteurs) au titre des droits exclusifs de l’enregistrement. Le label rémunère l’artiste selon les termes de son contrat. Si l’artiste n’est pas assez rémunéré alors il doit revoir le contrat qui le lie avec son label. Encore faut-il qu’il possède la latitude pour renégocier.

Il nous reste donc le principe de répartition du streaming à examiner.

C’est bien le système de répartition des revenus reversés par les plateformes de streaming aux ayants droits, qui est en cause aujourd’hui.

Le Système de répartition : data-centric vs user-centric vers une rémunération équitable ?

Le système de répartition actuel fonctionne sous forme de “pot commun” ou chaque ayant droit est rémunéré sur sa part de marché globale, basé sur le nombre d’écoutes faites par tous les utilisateurs de la plateforme.

Imaginons un abonné utilisateur X. Sur une base de 6€ de reversement aux ayants-droits, si Billie Eilish représente 70% de l’ensemble des écoutes (streams) de la plateforme et Daniel Findikian (artiste) 0.01%, alors la répartition pour les détenteurs de droits de Billie Eilish sera de 70%X6€ =4,20€ et pour les détenteurs de droits de Daniel Findikian 0,01%X6€=0,06€ et ce, même si l’abonné X en question n’écoute pas une seule fois Billie Eilish mais uniquement Daniel Findikian (artiste)

Le système actuel signifie que les artistes populaires – qui cumulent un important volume d’écoutes – bénéficient d’un avantage mécanique sur les artistes moins connus. 

Un autre système de répartition est possible : le système « user-centric », modèle qui ne fonctionnerait pas sous forme de “pot commun” mais qui serait centré sur l’utilisateur. Pour reprendre l’exemple ci-dessus, dans le cas de l’abonné X qui écouterait uniquement Daniel Findikian (artiste) 100% des 6€ serait versé aux détenteurs de droits de Daniel Findikian

Pour un certain nombre d’acteurs du numérique dont Deezer, qui a été le premier à initier le mouvement, ce système serait plus “équitable”. Ainsi les artistes moins connus pourraient gagner plus dans ce principe de répartition « user-centric »

En France, “user-centric” est soutenu par certains ayants-droits maisons de disques indépendantes comme Wagram Music ou Because Music et certains distributeurs comme Believe Digital ou IDOL. D’autres ayants-droits notamment les majors (Universal Music, Sony Music, Warner Music) restent sceptiques sur la possibilité de rendre un tel modèle opérable dans le monde entier. Un long chemin reste à parcourir pour convaincre l’intégralité de la filière.

Le débat sur la rémunération des artistes reste d’une actualité brûlante compte tenu de la crise actuelle dans la culture et l’annulation de revenus qui proviennent des concerts ne fait que renforcer l’urgence. Si l’ensemble des pays européens s’en emparent, il reviendra en France tel un boomerang.