Laissera -t-on YouTube devenir l’OS de la musique ?

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Le rachat de BandPage est un événement important pour l’industrie musicale. Je tente ici d’en expliquer les raisons. Une partie servira d’introduction pour mon cours sur la transformation des modèles économiques dans les industries créatives à L’ESSEC en Mars. Pour ceux que cela interresse, je tiens à votre disposition mes slides, cela vous évitera d’aller à Cergy en candidat libre…

Le 13 Février, YouTube rachète donc BandPage avec l’argent de poche de Google. Pour ceux qui ne connaissent pas BandPage. C’est un service gratuit pour les artistes -leur modèle économique repose sur l’affiliation- leur permettant de regrouper en un seul endroit leur actualité et d’engager leur “fanbase”. BandPage permet de faire écouter sa musique, de la vendre en Cd, en vinyl, montrer ses vidéos, sa biographie, annoncer les dates de concerts et vendre son merchandising. BandPage est intégré aux énormes carrefours d’audience que sont Spotify, SoundCloud, Facebook, Twitter, Shazam, Rhapsody, Google et YouTube. Fort à parier désormais que seuls les deux derniers les garderont intégrés.

YouTube est déjà la première destination de consommation de musique, et sa croissance est impressionnante. Un dernier rapport de TuneCore annonce une croissance de +370% par rapport à l’année passée.
Malgré une rémunération à l’unité (stream) bien inférieure à celle des services payants que sont Spotify, Deezer ou Apple, YouTube reste une plateforme incontournable pour promotion des artistes, et, malgré tout, une des sources principales de revenus pour les artistes, aux cotés de Spotify, Apple, Amazon, pour ne citer que les trois premiers.
En rachetant BandPage, YouTube verrouille la chaine de valeur en ajoutant un outil gratuit de services aux artistes, augmentant ainsi leur dépendance à Google ( ils seront fortement incité à renvoyer leur audience sur YouTube).
Regroupant ainsi toutes les pièces du puzzle, YouTube devient, doucement mais surement, l’OS – operating system- de la musique.
Et YouTube de déclarer : “Our collective goal remains the same: to grow an open network of digital music services, develop intelligent new tools for managing/distributing artist content and commerce, and create new revenue opportunities for all musicians, on YouTube and beyond.”

La distribution numérique de musique est une commodité. La valeur de l’industrie musicale ne réside plus à cet endroit. Les débats sur la rémunération du streaming sont stériles. Les jeux sont faits : 9,99 € par mois pour 34 millions de titres, 1,70€ pour l’état (TVA) et 6€ pour les ayants droits, le reste pour la plateforme. La marge est très faible. On est sur l’os, il n’y a plus de gras. Pandora, acteur historique de la distribution numérique, malgré 1 milliard de $ de CA réalise 170 Millions de $ de pertes en 2015. Le très cool Soundcloud perd 44 Millions en 2014 pour un chiffres d’affaire de 15 Millions.
Il faut chercher la valeur ailleurs, avant que les GAFA la capte totalement.
La valeur réside dans le service aux artistes et la maitrise de la relation avec le consommateur (fan de musique).
Le service aux artistes, c’est pourtant ce que les producteurs et les éditeurs savent faire le mieux. Les producteurs ont été les premiers à être pris dans la tourmente de la transformation numérique. Ils savent qu’ils ne sont plus des “maisons de disques” et qu’ils doivent devenir des sociétés de “service aux artistes”. Les éditeurs suivent le meme chemin depuis peu.
Il demeure très difficile pour un nouvel entrant, en quelques années, de rattraper les décennies de savoir-faire des labels : la découverte, le développement, le marketing, la promotion des artistes; encore plus dur de reconstituer les catalogues construits depuis des décennies – et pour certains labels depuis plus d’un siècle.Malgré cette barrière à l’entrée, les producteurs et les éditeurs, se font rattraper…
Le service aux artistes, d’autres s’en emparent. A chaque coin de la planète, des start-ups dynamiques, agiles, avec une technologie innovante, naissent et séduisent les artistes car elles leur apportent un service d’une qualité irréprochable. Pledge Music, Bandcamp, Bandsquare, ReverbNation et des dizaines d’autres…. offrent un service avec une valeur ajoutée et prennent le contrôle, avec talent et professionnalisme, de la ‘relation artiste’ et de la ‘relation fan’. Ces sociétés bâtissent les modèles économiques d’avenir. Il serait regrettable de laisser les GAFA les absorber pour renforcer encore plus la relation client et se servir de ces leviers pour vendre des ordinateurs, du stockage, de la publicité et nos données personnelles.

S’unir pour une action concertée de lobbying pour défendre les intérêts des ayants droits face au pouvoir toujours plus important des GAFA ne suffit plus. Il convient de regagner le lien avec le consommateur. Le temps est venu, pour les ayants droits, de créer ou de racheter ces start-ups qui, avec talent, développent de nouveau le “service aux artistes”.