Le rachat de Beats par Apple pour 3 milliards de dollars est un événement majeur pour le secteur de la musique et des nouvelles technologies et c’est pour cette raison que j’ai choisi d’en parler.
Cette vente devrait marquer un changement de la donne sur le marché de la distribution de musique dans le monde.
La lecture approfondie de la presse économique sur ce sujet m’a poussé à replonger dans l’excellent ouvrage de Clayton Christensen « The Innovator’s dilemma » qui date de quelques années mais reste d’actualité. L’auteur y explique le dilemme devant lequel est placé une société innovante : prendre le risque d’abandonner son modèle économique dominant parce qu’il sera mis à mal par une nouvelle innovation technologique qui deviendra, dans un avenir proche, la norme du marché. C’est la situation dans laquelle se trouve Apple. Son modèle dominant – le téléchargement – est désormais dépassé face au streaming. Le marché n’évolue plus vers le modèle de la possession (de fichiers musicaux) mais vers celui de l’accès (abonnement qui donne accès à 20 millions de titres en ligne).
Apple achète une marque « cool » de casque et d’enceinte qu’elle fera évoluer vers un « smart » casque.
Dans le cas d’un rachat comme celui ci, la transaction est souvent motivée par des actifs inexistants chez l’acquéreur : une base consommateur large et qualifiée, une innovation technologique ou innovation produit « disruptive » – en d’autres termes une innovation qui change la donne sur le marché en question (WhatsApp racheté 19 milliards de dollars par facebook par exemple).
Nous ne sommes pas, ici, dans ce cas de figure. Alors de quoi s’agit il ?
Tout d’abord, la valeur de la marque « BEATS », son chiffre d’affaire et surtout sa rentabilité. Tout le monde a entendu parler de la société, crée en 2008, par Dr Dre et son associé Jimmy Iovine, producteur et music business exécutive de renom. Le chiffre d’affaire de Beats pour la partie « casques et enceintes » est estimé à 1 milliard de dollars selon le Financial times, et Tim Cook, l’actuel patron d’Apple, a déjà assuré qu’il conserverait la marque.
Apple est une société dont l’essentiel du chiffre d’affaire est désormais constitué de la vente d’appareils (ou « devices » en anglais) portables. Or, Beats a crée une formidable marque d’appareil portable, dont la marge est très confortable : la différence entre la fameuse « valeur d’usage » et la « valeur d’échange » est très proche de celle de l’iPod et de l’iPhone. Selon le New York Times, certains casques Beats ne couterait que 14 dollars à produire, et le prix public de la gamme de casques grand public de Beats s’étend de 250 à 600 dollars. C’est la partie « smart » – la partie « intelligente », celle qui est connectée à internet – qui rend ces appareils si rentables.
L’évolution du casque est donc d’être “smart” ? Sans doute. Le casque deviendra très vite « smart » et inclura un service de streaming illimité de musique en y intégrant le service de streaming de Beats.
Au delà du casque, il y a les autres appareils et notamment le marché du “fitness”. C’est à dire, l’ensemble des appareils fixes dans les milliers de salle de sport aux Etats Unis mais aussi les appareils de sport domestiques.
L’appareil de fitness deviendra aussi « smart » et le marché aux Etats Unis est évalué à 107 milliards de dollars selon le Financial times.
Mais la pomme n’achète t-elle pas avant tout un service de streaming ?
Au delà des appareils, c’est surtout le service de streaming dont la valorisation n’excède pas 300 millions de dollars, qui intéresse Apple…
« Quickroad to streaming » comme dit l’excellent Bob Lefsetz dans son amusante newsletter (dont je vous recommande la lecture sur http://lefsetz.com/wordpress/). Si tel est le cas, pourquoi ne pas racheter Spotify directement ?
Le download étant déjà arrivé à un plateau. En France, les chiffres du marché du téléchargement sont négatifs (source snep premier trimestre 2014) et cette baisse est surtout importante sur le “back catalogue”, qui constituait le socle de la marge des services de téléchargement. Comment pénétrer le marché du streaming sans scier la branche sur laquelle Apple est assise (iTunes music store) ? Toutes les études parues aux Etats unis le prouvent, le streaming recrutent ses utilisateurs chez les consommateurs de téléchargement, dont Apple possède l’essentiel du marché. La seule façon de ne pas perdre ces consommateurs est donc d’avancer vite sur le streaming. Et iTunes radio ne suffit pas.
Dans le reste du monde, le streaming connait une forte croissance sur les territoires ou le téléchargement ne s’est pas vraiment imposé, comme on peut le constater sur le slide de Marc Mulligan ci dessous :
Faire l’acquisition du service de streaming BEATS permet à Apple, désormais orphelin de son visionnaire Steve Jobs, de faire une avancée plus rapide sur le marché du streaming, à l’aube du lancement du service de streaming payant de YouTube et de l’introduction en bourse de Spotify.
Une preuve de plus que le streaming est le modèle dominant du marché de la musique en ligne. Ce rachat va consolider et structurer du marché du streaming
Quid du futur de Deezer dans lequel Lenn Blavatnik, également actionnaire dans Beats et propriétaire de Warner a investi ?
Mais que fera Google ? Se contentera t-il du lancement de l’abonnement sur YouTube ?
Amazon rachètera t il les concurrents ? Spotify ou Rhapsody/ Napster ?
Suite au prochain épisode.